Pendant plus de 45 ans elle est restée cachée par les ombres et la poussière, un témoin de la Foi catholique relégué aux oubliettes sous un banc au fond du jubé jusqu’en 2014 quand, peu avant Pâques, les travaux d’installation du jeu de suspension à poulie achevés, l’ancienne lampe de sanctuaire de Sainte-Anne a pu reprendre sa place devant le Tabernacle de Notre Seigneur. La lampe récemment restaurée, a été bénie par l’abbé Erik Deprey, FSSP curé, et rallumée lors de la Vigile Pascale, samedi le 19 mars, 2014.
D’une grande qualité
De cuivre rehaussée de garnitures plaquées argent, la lampe a été remise en état par la firme torontoise Turn of the Century Lighting, spécialistes de la restauration d’anciens luminaires. Nous ne connaissons pas avec certitude son âge mais, selon Michael Rosar à qui sa restauration était confiée, même sans des poinçons qui permettraient de la dater de façon précise, sa très grande qualité et son style indiquent une fabrication qui remonterait aux années 1840 ou, au plus tard à 1900. Serait-elle donc la lampe qui pendant presque cent ans suivant la construction de l’église a brûlé jour et nuit au cœur du sanctuaire de Sainte-Anne? Ce serait agréable de le penser, mais selon l’information disponible à ce jour, il semblerait plus vraisemblable que son arrivée chez nous se fixe à une date bien plus tardive. Ce qui est certain, c’est que des photographies des années 1920 indiquent sans équivoque sa présence chez nous.
La première preuve d’une date d’achat d’une lampe de sanctuaire à Sainte-Anne se trouve à même le livre des comptes de la fin d’année 1895* et encore vise-t-elle plutôt les frais encourus pour l’approvisionnement d’huile d’olive que la lampe elle-même.
Huile d’olive pour la lampe achetée en 1893 0.00
Une nouvelle lampe de sanctuaire aurait donc été acquise en 1893, l’année de la construction du transept. Le Grand Livre de cette année-là a passé cependant sous silence l’achat noté deux ans plus tard ne nous permettant pas ainsi d’identifier la lampe à laquelle il fait allusion. Tout ce que nous pouvons en dire donc, c’est que vu sa taille et son poids non négligeable de 95 livres, la construction du transept en 1893 a dû non seulement admirablement se prêter à l’installation d’une lampe pareille à la nôtre, mais a sans doute aussi beaucoup contribué à en faire un choix approprié.
Les travaux de restauration ont dévoilé que les quatre camées à l’effigie de la Sainte-Vierge ainsi que les autres motifs décoratifs entourant les anneaux auxquels s’attachent les chaînes de suspension de notre lampe étaient autrefois plaqués argent, indiquant ainsi une date de fabrication ancienne car, selon Turn of the Century Lighting, l’alliage de cuivre et d’argent était fort prisé au milieu du XIXe siècle. Une dépense inscrite au Grand Livre de la paroisse indique que ce choix de finition pour les articles religieux était déjà connu à Sainte-Anne très tôt dans son histoire.
1894 – 10 août Croix de procession et lampe de sanctuaire réargentées 25.00
Alimentée à l’huile d’olive
Une sélection relevée au hasard dans les comptes du Grand Livre témoigne de dépenses faites avec une grande régularité pour l’approvisionnement en quantités diverses d’huile d’olive nécessaire à l’alimentation de la lampe de sanctuaire.
1893 – 11 mai 1 chopine huile d’olives [sic] Lampe du sanctuaire .05
1893 – 26 août 2 galls. Huile d’olives [sic] 1.80
1905 – 9 avril Payé pour un canistre [sic] d’huile de 8 jours 5.75
La commande habituelle d’huile achetée à Montréal et expédiée par train à Ottawa trahit à l’occasion l’urgence avec laquelle elle a dû être passée auprès du fournisseur.
1896 – 11 janvier Pour transport par express d’huile d’olives [sic] de Montréal .55
Des dépenses reliées à l’achat d’huile d’olive disparaissent des comptes très tôt en 1910 laissant ainsi supposer que c’est à cette époque que la lampe en service à l’église a été modifiée pour recevoir un cierge en cire d’abeille. Quelle que soit la date précise d’une adaptation similaire pratiquée sur notre lampe qui à l’origine était sans doute également alimentée à l’huile d’olive, ces traces avaient depuis longtemps disparu quand elle a été retrouvée et ce dispositif a dû ainsi être façonné à neuf.
Une mention énigmatique
Bien que les comptes après 1910 n’identifient aucune dépense comme étant directement reliée soit à l’achat soit à l’entretien d’une lampe de sanctuaire, une déboursée inscrite sur le registre de 1923 soulève autant de questions qu’elle ne fournit de réponses.
1923 – 25 mars Payé à Millee[sic] cierge de sanctuaire 27.00
Qui était ce Millee et pourquoi en 1923 lui remettre 27$ que l’on identifie avec la lampe de sanctuaire au moment où une campagne importante de rénovation intérieure prépare l’église à marquer le centenaire de sa construction ? Est-il possible que ce montant représente le coût d’installation de la lampe aujourd’hui nouvellement restaurée qui venait ainsi agrémenter le cadre de la fête du centenaire ? Il est malheureusement presqu’impossible de le savoir avec certitude. Tout ce nous pouvons affirmer sans crainte c’est que les anciennes photographies de 1923 montrent notre lampe à sa place au cœur du sanctuaire où elle a brûlé jour et nuit pendant des années. Comment et en quelles circonstances est-elle arrivée à Sainte-Anne demeure un secret que l’église gardera toujours pour elle toute seule.
Un des rares témoins du centenaire
D’ici à ce que l’on retrouve des preuves qui indiquent une date d’arrivée certaine de notre lampe au sanctuaire à Sainte-Anne, que pouvons-nous avancer avec certitude à son sujet ? En fait, nous pouvons déjà en dire beaucoup. Nous savons aujourd’hui qu’elle pourrait bien dater des années 1840 au plus tôt mais sans doute pas plus tard que 1900; qu’elle est d’une facture de grande qualité faisant valoir un alliage de cuivre et d’argent, combinaison de finition chère à l’ère victorien; que sa taille et son poids de 95 livres font que sa présence n’est pas sans conséquence; qu’en toute probabilité, à l’instar de ses contemporaines, elle était alimentée à l’huile d’olive; que les photographies de l’époque démontrent sans aucun doute qu’elle a survécu à la campagne de mise à jour intérieure entreprise à l’occasion du centenaire de l’église célébrée en 1923 et y est peut-être même arrivée pour en marquer l’occasion et qu’enfin; les anciens clichés de mariages et de premières communions la montrent toujours présente en 1967 quand est entamé un projet de renouveau qui dura huit mois et changea l’intérieur de l’église de fond en comble, n’épargnant que le toit et les quatre murs1 alors que le maître-autel était démantelé, que le Tabernacle abritant le Saint Sacrement était délogé de sa place au cœur du sanctuaire et que la vieille lampe était reléguée au fond du jubé.
Même si nous ne pouvons pas dire avec précision quand la lampe que nous venons de faire restaurer est arrivée à l’église Sainte-Anne, il n’en demeure pas moins tout à fait remarquable qu’une fois décrochée en 1967, elle ait survécu abandonnée en morceaux au fond du jubé pendant toutes ces années sans connaître le sort réservé à d’innombrables autres articles et meubles religieux. Elle n’a jamais été consignée au rebut, accordée à quelqu’un comme souvenir ou encore, vendue pour de la ferraille, un fait que nous ne pouvons qu’attribuer à la Providence.
La Paroisse Saint-Clément est heureuse de pouvoir remettre à sa place l’ancienne lampe de sanctuaire de l’église Sainte-Anne où en vis-à-vis avec le maître-autel, elle brûlera de nouveau jour et nuit devant le Tabernacle où repose le Saint Sacrement. Avec cette restauration la paroisse réalise une étape importante dans son projet à long terme de rendre à l’intérieur de l’église sa dignité originale et d’en assurer sa conformité aux exigences de la Forme Extraordinaire du Rite Romain.
© Paroisse St-Clément à l’église Sainte-Anne, 2014
* Toutes ces citations sont tirées des Livres de recettes et de dépenses 1873-1904 et 1904-1952 de l’ancienne paroisse Ste-Anne: Fonds Paroisse Ste-Anne d’Ottawa, C72, CRCCF, Université d’Ottawa.
1 Lucien Brault, Sainte-Anne d’Ottawa – Cent ans d’histoire 1873-1973 (Ottawa, 1973), p.25